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Photo du rédacteurJérôme CRUVEILHER

Signes religieux au travail : après le voile, la Cour de cassation se prononce sur la barbe

Dans un important arrêt rendu le 8 juillet 2020, la Cour de cassation se prononce sur le licenciement d’un salarié ayant refusé de tailler sa barbe à la demande d’un client de l’employeur, cette barbe pouvant être connotée de façon religieuse. Pour conclure à un licenciement discriminatoire, elle reprend les règles énoncées par son arrêt de principe du 22 novembre 2017 qui concernait une salariée licenciée pour avoir refusé d’enlever son voile à la demande d’un client.



Licenciement d’un salarié ayant refusé de tailler une barbe à connotation religieuse

Cette affaire concerne un salarié employé comme « consultant sûreté » par une société assurant des prestations de sécurité et de défense pour des gouvernements, des ONG ou des entreprises privées.


Spécialiste du Proche et du Moyen-Orient, son employeur souhaitait l’envoyer en mission au Yémen pour sécuriser des déplacements de civils américains. Mais il lui avait fait remarquer que son apparence physique, en l’occurrence sa barbe, gênait les clients américains et qu’il serait préférable de la tailler, ce que le salarié avait refusé.


L’employeur l’avait alors licencié pour faute grave, lui reprochant le port d’une barbe « taillée d’une manière volontairement très signifiante aux doubles plans religieux et politique », qui « ne pouvait qu’être comprise que comme une provocation par notre client, et comme susceptible de compromettre la sécurité de son équipe et de [ses] collègues sur place ».


Le salarié avait alors saisi les juges pour demander la nullité de son licenciement, considérant qu’il reposait sur un motif discriminatoire. Il avait obtenu gain de cause auprès du conseil de prud’hommes, puis auprès de la cour d’appel.


L’affaire est alors remontée auprès de la Cour de cassation, laquelle, dans un arrêt du 8 juillet 2020 publié sur son site internet et accompagné d’une note explicative, reprend son argumentaire élaboré à l’occasion de l’affaire Micropole, dans laquelle une salariée avait été licenciée pour avoir refusé d’enlever son foulard à la demande d’un client de son employeur (cass. soc. 22 novembre 2017, n° 13-19855, BC V n° 200 ; voir FH 3719, § 4-1).



Une restriction au port de la barbe discriminatoire en l’absence de clause de neutralité


La liberté religieuse prévaut, sauf clause de neutralité


La Cour de cassation réaffirme en premier lieu que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et être proportionnées au but recherché (c. trav. art. L. 1121-1 et L. 1133-1).


En outre, le règlement intérieur ne peut pas contenir des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché (c. trav. art. L. 1321-3).


La Cour de cassation rappelle en second lieu que l’employeur peut prévoir dans le règlement intérieur ou une note service une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients.


À NOTER

Dans cette affaire, les faits dataient de 2013 et étaient donc antérieurs à la loi Travail du 8 août 2016, qui a consacré la possibilité d’inscrire dans le règlement intérieur une clause de neutralité restreignant la manifestation des convictions des salariés, dès lors que ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et qu’elles sont proportionnées au but recherché (c. trav. art. L. 1321-2-1).


En l’absence de clause de neutralité, la restriction fondée sur des considérations religieuses et politiques est discriminatoire


Dans notre affaire, aucune clause de neutralité n’était applicable dans l’entreprise.


Par conséquent, l’interdiction faite au salarié de porter sa barbe, en tant qu’elle manifesterait des convictions religieuses et politiques, et l’injonction faite par l’employeur de revenir à une apparence « plus neutre » constituent une discrimination prohibée fondée sur les convictions religieuses et politiques du salarié (c. trav. art. L. 1132-1).



Aucune exigence professionnelle essentielle et déterminante pour justifier la discrimination

L’exigence du client ne justifie pas la restriction au port de la barbe


L’employeur à qui il est reproché une discrimination peut justifier sa décision s’il démontre que la restriction imposée au salarié répond à une exigence professionnelle essentielle et déterminante, qu’elle poursuit un but légitime et qu’elle est proportionnée.


Réaffirmant ce principe, la Cour de cassation rappelle également que cette exigence professionnelle et déterminante renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle, sans qu’elle puisse couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client.


Ainsi, dans cette affaire, la demande du client américain de l’employeur de ne pas voir le salarié porter une barbe pouvant être connotée de façon religieuse ne pouvait pas être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante.


La sécurité des personnes peut justifier une telle restriction


La Cour de cassation admet en revanche dans cet arrêt que l’objectif légitime de sécurité du personnel et des clients de l’entreprise peut justifier une restriction à la liberté du salarié.


Sur ce fondement, l’employeur peut imposer aux salariés une apparence neutre lorsque celle-ci est rendue nécessaire afin de prévenir un danger objectif.


C’est alors à l’employeur de démontrer l’existence de risques pour la sécurité des personnes et la nécessité de prévenir un danger objectif.


Pas de preuve de l’existence de risques pour la sécurité


Dans cette affaire, les juges ont considéré que l’employeur ne démontrait pas les risques de sécurité spécifiques liés au port de la barbe dans le cadre de l’exécution de la mission du salarié au Yémen.


S’il considérait le port de la barbe par le salarié comme une provocation politique et religieuse, l’employeur ne précisait ni la justification objective de cette appréciation, ni quelle façon de tailler la barbe aurait été admissible au regard des impératifs de sécurité avancés.


Les juges ont donc considéré que l’employeur n’apportait aucune justification à l’atteinte discriminatoire apportée à la liberté du salarié.


A contrario, si l’employeur était parvenu à prouver, par des éléments objectifs, que la barbe telle que portée par le salarié faisait courir un risque pour la sécurité des personnes et que la tailler permettait de prévenir un danger objectif, la discrimination n’aurait pas été retenue.


Un licenciement discriminatoire car fondé sur un critère religieux


Au final, les juges, approuvés par la Cour de cassation, ont considéré que le licenciement du salarié reposait bien sur une discrimination, l’employeur s’étant fondé sur ce qu’il considérait comme l’expression par le salarié de ses convictions politiques ou religieuses au travers du port de sa barbe.


À NOTER

Dans l’arrêt Micropole du 22 novembre 2017, la Cour de cassation avait estimé que le licenciement de la salariée ayant refusé d’ôter son voile était discriminatoire pour les mêmes raisons : aucune clause de neutralité n’était applicable dans l’entreprise et l’employeur ne justifiait d’aucune exigence professionnelle essentielle et déterminante lui permettant d’expliquer cette discrimination, la volonté de tenir compte des souhaits d’un client ne pouvant constituer une telle exigence.

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