Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 envisage de réformer à nouveau le dispositif du cumul emploi-retraite
- Jérôme CRUVEILHER

- 30 oct.
- 8 min de lecture
Présenté en Conseil des ministres et déposé à l’Assemblée nationale le 14 octobre 2025, et modifié par la lettre rectificative déposée à l’Assemblée nationale le 23 octobre 2025, le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026 entend réformer à nouveau le dispositif du cumul emploi-retraite. À partir de janvier 2027, il serait organisé autour de trois bornes d’âge, avec pour objectifs affichés de rendre le dispositif plus lisible et désincitatif au départ précoce en retraite.
Rappels sur le dispositif du cumul emploi-retraite
Pour rappel, les revenus d’un certain nombre d’activités dites « autorisées » peuvent toujours être cumulés sans contrainte avec une pension de retraite (ex. : activités artistiques, à caractère littéraire ou scientifique, consultations occasionnelles, etc. ; c. séc. soc. art. L. 161-22).
Pour les autres, le cumul « pension de retraite » + « revenus d’activité professionnelle » peut être :
soit total, si l’assuré remplit les conditions du cumul emploi-retraite (CER) dit « total » ou « libéralisé » sans contrainte particulière ;
soit partiel, dès lors que l’assuré ne remplit pas les conditions du CER total.
À cet égard, les contraintes imposées dans le CER partiel (ex. : délai d’attente pour reprendre une activité chez son dernier employeur, montant du plafond de revenus) diffèrent selon les régimes de retraite de base (sécurité sociale) et de retraite complémentaire (ex. AGIRC-ARRCO).
Ces conditions sont récapitulées dans le tableau ci-dessous.
Sous conditions, les retraités en cumul emploi-retraite total acquièrent des nouveaux droits à retraite sur l'activité reprise ou poursuivie (c. séc. soc. art. L. 161-22-1, 2°, L. 161-22-1-1 et D. 161-2-22-1).
I - Dispositif du cumul emploi-retraite des salariés (synthèse) (1) | |
Cumul emploi-retraite total (2) | Cumul emploi-retraite partiel |
∙ Rompre tout lien professionnel avec l’employeur (contrat de travail). | ∙ Rompre tout lien professionnel avec l’employeur (contrat de travail). |
∙ Avoir liquidé toutes les pensions de retraite personnelles, y compris complémentaires, étrangères et des organisations internationales (condition dite de « subsidiarité ») ; ∙Avoir liquidé sa pension à taux plein : -à 67 ans (âge du taux plein automatique) ; -ou à l’âge légal de départ en retraite, à condition de justifier d’une durée d’assurance et de périodes reconnues équivalentes nécessaires pour bénéficier d’une retraite à taux plein (3). | ∙ Délai d’attente dans le régime de retraite de base : lorsqu’elle a lieu chez le dernier employeur, la reprise d’activité ne peut intervenir que 6 mois après l’entrée en jouissance de la pension de vieillesse, au plus tôt (4). ∙ Plafond de cumul : 1/ Pour la retraite de base, le plafond de cumul emploi-retraite (salaire + pensions de retraite de base et complémentaires) à respecter est le plus élevé entre : -un montant équivalant à 160 % du SMIC mensuel ; -le dernier salaire d’activité perçu par le pensionné avant le départ en retraite. Le dépassement du plafond de ressources entraîne la réduction de (chaque) pension à due concurrence dudit dépassement. 2/ Pour la retraite complémentaire AGIRC-ARRCO, le plafond de cumul emploi-retraite (salaire + pensions de retraite de base et complémentaires) à respecter est le plus favorable entre : -le dernier salaire d’activité revalorisé ; -1,6 fois le montant mensuel du SMIC (calculé sur une base annuelle de 1 820 h) ; -le salaire moyen des 10 dernières années d’activité. Le dépassement du plafond de ressources entraîne la suspension de la pension. |
(1) Certaines activités peuvent toujours être exercées à la retraite sans restriction particulière : activités artistiques, littéraires ou scientifiques, consultations occasionnelles, etc. (c. séc. soc. art. L. 161-22). (2) Sous conditions, les salariés en cumul emploi-retraite total peuvent bénéficier d’une seconde pension au titre de l’activité reprise ou poursuivie (c. séc. soc. art. L. 161-22-1-1 et D. 161-2-22-1). (3) La pension due par un régime de retraite légalement obligatoire dont l’âge d’ouverture des droits, le cas échéant sans minoration, est supérieur à l’âge légal de départ en retraite (ex : certains régimes complémentaires des professions libérales) n’est pas retenue pour apprécier la condition de liquidation de l’ensemble des pensions de retraite, et ce jusqu’à ce que l’assuré ait atteint l’âge à partir duquel il peut liquider cette pension ou, en cas de minoration, l’âge auquel celles-ci prennent fin. (4) Si ce délai d’attente n'est pas respecté, la pension est suspendue (c. séc. soc. art. D. 161-2-15). |
La liste des activités toujours autorisées serait maintenue, voire enrichie
Sans changement, il serait toujours possible d’exercer à la retraite sans restriction particulière certaines activités (voir plus haut). Mais la liste de ces activités dites « autorisées » serait fixée par décret et non plus par la loi (projet de loi art. 43, III, 2°). Elle pourrait « être maintenue, voire enrichie pour répondre aux besoins de secteurs en tension », en visant notamment les « assistants familiaux ».
La condition dite de « subsidiarité » serait élargie
La condition dite de « subsidiarité » - avoir liquidé toutes ses pensions de retraite personnelles de base et complémentaire, y compris étrangères (voir tableau I) – deviendrait indispensable dans toutes les situations, alors qu’elle est actuellement exigée seulement pour le cumul emploi-retraite total (voir tableau) (projet de loi art. 43, III, 2°).
Si cette condition n’était pas respectée, le service de la pension de retraite serait suspendu.
À noter : cette condition ne serait pas exigée pour les assurés relevant de certains régimes spéciaux (ex. : personnel de l’Opéra national de Paris).
Le cumul emploi-retraite serait axé autour de trois bornes d’âge
Le PLFSS pour 2026 prévoit un système (projet de loi art. 43, III, 2°) :
axé sur trois bornes d’âge : moins que l’âge légal de départ en retraite, de cet âge à moins de 67 ans, à partir de 67 ans (âge du taux plein automatique, auquel s’annule la décote) ;
avec des règles d’écrêtement communes à l’ensemble des régimes de base et complémentaire ;
dans lequel il n’y aurait plus de délai d’attente de 6 mois pour reprendre une activité chez son dernier employeur dans le cadre du CER partiel.
Concrètement, la pension de retraite personnelle servie au titre d’un régime de base ou complémentaire pourrait être cumulée avec une activité professionnelle dans les conditions suivantes.
À noter : resteraient maintenues des règles particulières pour les assurés relevant de certains régimes spéciaux (ex. : personnel de l’Opéra national de Paris).
❶ Avant l’âge légal de départ en retraite, la pension servie serait réduite à concurrence des revenus de professionnels et de remplacement. La pension serait donc « écrêtée » du montant des revenus perçus. L’objectif serait d’éviter que les assurés bénéficiaires de départ anticipé en retraite (ex. : carrière longue) se tournent vers le cumul emploi-retraite avant l’âge d’ouverture des droits à retraite. S’ils souhaitent aménager leur fin de carrière, ils sont incités, explique l’étude d’impact, à se tourner vers la retraite progressive, ouverte à l’âge de 60 ans.
❷ De l’âge légal à moins de 67 ans, si les revenus (professionnels et de remplacement) excèdent un seuil qui sera fixé par décret, qui devrait être de 7 000 € par an, la pension serait réduite à concurrence de la moitié du dépassement de ce seuil.
❷ À partir de 67 ans, la pension pourrait être entièrement cumulée avec les revenus professionnels et de remplacement. Au titre de l’activité reprise ou poursuivie, l’assuré pourrait, comme c’est le cas dans le dispositif actuel, acquérir des droits à une seconde pension mais sans exiger, en cas de reprise d’activité auprès du dernier employeur, de délai d’attente de 6 mois. En outre, le montant de cette seconde pension ne serait plus plafonné, dans le régime de base, à 5 % du plafond annuel de la sécurité sociale (projet de loi art. 43, 2°, 3° et 4°).
À noter : Les revenus de remplacement visés seraient les indemnités journalières de sécurité sociale (IJSS) d’assurance maladie, l’indemnisation complémentaire à la charge de l’employeur en cas de maintien de salaire, les indemnités d’assurance chômage, ainsi que les dispositions légales et réglementaires ayant le même objet, qu’un décret fixerait. Certains revenus professionnels et de remplacement seraient néanmoins exclus par décret, car perçus à l’occasion d’une activité d’intérêt général ou concourant à un service public, dans des conditions notamment d’âge, de durée de plafond ou de lieu d’exercice de l’activité professionnelle.
II - Réforme du dispositif du cumul emploi-retraite envisagée (1) | |
Cumul emploi-retraite total | Cumul emploi-retraite partiel |
∙ Rompre tout lien professionnel avec l’employeur (contrat de travail). | ∙ Rompre tout lien professionnel avec l’employeur (contrat de travail). |
∙ Avoir liquidé toutes les pensions de retraite personnelles, y compris complémentaires, étrangères et des organisations internationales (condition dite de « subsidiarité ») (2). | ∙ Avoir liquidé toutes les pensions de retraite personnelles, y compris complémentaires, étrangères et des organisations internationales (condition dite de « subsidiarité ») (2). |
∙ À partir de 67 ans : cumul intégral pension personnelle de base ou complémentaire + revenus d’activité sans contrainte, ouvrant droit à une seconde pension (3). | Cumul pension personnelle de base ou complémentaire + revenus d’activité (4) : -avant l’âge légal de départ en retraite : pension – 100 % des revenus professionnels ou de remplacement, dès le premier euro (5) ; -de l’âge légal de départ en retraite à moins de 67 ans : - si les revenus (professionnels et de remplacement) (5) n’excèdent pas 7 000 € (6) par an : cumul possible ; -si les revenus excèdent 7 000 € (6) par an : pension – 50 % des revenus. |
(1) Certaines activités pourraient toujours être exercées à la retraite sans restriction particulière. Leur liste serait fixée par décret en tenant compte, notamment, des difficultés de recrutement. (2) Sous peine de suspension de la pension. Pour apprécier cette condition, la pension due par un régime de retraite légalement obligatoire dont l’âge d’ouverture des droits, le cas échéant sans minoration, est supérieur à l’âge légal de départ en retraite (ex : certains régimes complémentaires des professions libérales) ne serait pas retenue pour apprécier la condition de liquidation de l’ensemble des pensions de retraite, et ce jusqu’à ce que l’assuré ait atteint l’âge à partir duquel il peut liquider cette pension ou, en cas de minoration, l’âge auquel celles-ci prennent fin. (3) L’assuré n’aurait plus à attendre 6 mois après la liquidation de sa première pension pour reprendre une activité chez son dernier employeur, et le montant de la seconde pension ne serait plus plafonné. (4) Le délai d’attente de 6 mois en cas de reprise d’activité chez le dernier employeur serait supprimé. (5) IJSS d’assurance maladie, indemnisation complémentaire à la charge de l’employeur en cas de maintien de salaire, indemnités d’assurance chômage. Certains revenus, listés par décret, seraient exclus. (6) Seuil à fixer par décret, qui serait de 7 000 € d’après l’étude d’impact. |
Entrée en vigueur au 1er janvier 2027
La réforme s’appliquerait aux assurés qui entrent en jouissance de leur première pension de vieillesse de base à compter du 1er janvier 2027 (projet de loi art. 43, IX). Elle ne s’appliquerait pas lorsque le titulaire de la pension est entré en jouissance, avant cette date, d’une autre pension de vieillesse de base, exceptée si elle a été liquidée au titre de certains régimes spéciaux (ex. : personnel de l’Opéra national de Paris).
Calendrier d’examen du PLFSS 2026 |
À l’heure où nous rédigeons ces lignes, le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026 en est au tout début de son parcours parlementaire, puisqu’il a été déposé à l’Assemblée nationale le 14 octobre 2025. La prochaine étape, ce sera l’examen à l’Assemblée nationale, d’abord en commission des affaires sociales à partir du 27 octobre, puis en séance publique dans une fourchette prévue du 4 au 12 novembre 2025, avant que le texte ne soit débattu au Sénat. On entrera ensuite dans la phase finale d’examen du texte (commission mixte paritaire, nouvelle navette avec dernier mot à l’Assemblée en cas d’échec de la CMP, etc.), pour une publication au Journal officiel en décembre 2025 après probable passage du texte devant le Conseil constitutionnel. À condition que tout se déroule « normalement ». Ce qui n’est pas garanti, compte tenu des aléas politiques liés à la composition de l’Assemblée nationale : l’épée de Damoclès d’une motion de censure est toujours là. |
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 modifié par lettre rectificative déposée à l’Assemblée nationale le 23 octobre 2025 (art. 43) ; https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/textes/l17b1999_lettre-rectificative



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