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Abandon de poste : la présomption de démission du salarié peut être invoquée

Depuis le 19 avril 2023, l'employeur peut faire valoir une présomption de démission face à un salarié qui abandonne volontairement son poste. Les modalités de mise en œuvre de cette nouvelle procédure ont été précisées par un décret du 17 avril 2023, lequel a été suivi d'un document « questions/réponses » du ministère du Travail.


Décret 2023-275 du 17 avril 2023, JO du 18 ; Questions/Réponses du ministère du Travail, « Présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire du salarié », version du 18 avril 2023


L'essentiel

Face à un abandon de poste d'un salarié en CDI, l'employeur peut décider de faire jouer la présomption de démission, mais ce n'est pas une obligation.

L'employeur qui entend faire valoir la présomption de démission doit mettre en demeure le salarié de justifier son absence et de reprendre son poste dans un délai qui ne peut être inférieur à 15 jours.

Le salarié peut invoquer un motif légitime d'absence faisant obstacle à la présomption de démission.

Les règles relatives au préavis de démission s'appliquent à la présomption de démission.

Le salarié peut contester la rupture de son contrat issue de la présomption de démission devant le conseil de prud'hommes, qui doit statuer dans un délai d'un mois.


Faire jouer une présomption de démission plutôt que licencier un salarié en abandon de poste

1. Possibilité pour l'employeur d'invoquer une présomption de démission Pour rappel, la présomption de démission en cas d'abandon volontaire de poste d'un salarié en CDI a été instituée par la loi Marché du travail du 21 décembre 2022, pour faire échec aux situations dans lesquelles des employeurs se voyaient contraints de licencier un salarié ayant abandonné son poste, permettant à ce dernier de quitter son emploi en bénéficiant des allocations de chômage (loi 2022-1598 du 21 décembre 2022, art. 4, JO du 22). Avant cette loi, la jurisprudence de la Cour de cassation interdisait à l'employeur de présumer un salarié démissionnaire (cass. soc. 30 avril 2002, n° 00-42952 D).

Cette procédure est entrée en vigueur le 19 avril 2023, lendemain de la publication de son décret d'application (décret 2023-275 du 17 avril 2023, JO du 18). Pour accompagner ce décret, le ministère du Travail a mis en ligne le 18 avril 2023 une série de questions/réponses (Q/R) dans laquelle plusieurs précisions pratiques sont apportées.

Désormais, un employeur qui fait face à un abandon de poste par un salarié peut faire jouer une présomption de démission en suivant la nouvelle procédure fixée par le code du travail (c. trav. art. L. 1237-1-1 et R. 1237-13).

Il s'agit d'une possibilité et non d'une obligation. La rédaction du code du travail selon laquelle « l'employeur qui constate que le salarié a abandonné son poste et entend faire valoir la présomption de démission » signifie que l'employeur peut décider d'utiliser ou ne pas utiliser la présomption de démission.

Le ministère du Travail confirme cette lecture en indiquant que l’employeur peut décider de ne pas mettre en œuvre la procédure et conserver le salarié dans ses effectifs. Dans ce cas, le contrat de travail n’est pas rompu mais seulement suspendu et la rémunération du salarié n’est pas due (Q/R n° 1).


2 . La procédure de présomption de démission exclusive de la procédure de licenciement ? Le ministère du Travail ajoute dans son document questions/réponses que, « a contrario, si l’employeur désire mettre fin à la relation de travail avec le salarié qui a abandonné son poste, il doit mettre en œuvre la procédure de mise en demeure et de présomption de démission. Il n’a plus vocation à engager une procédure de licenciement pour faute » (Q/R n° 1).

Cette formulation semble ainsi présenter la présomption de démission comme la procédure s’imposant à l’employeur face à un abandon de poste, excluant la possibilité de prononcer un licenciement.

Or, les dispositions légales et réglementaires qui ont inscrit la présomption de démission dans le code du travail ne mentionnent aucunement que cette nouvelle procédure est exclusive du licenciement (c. trav. art. L. 1237-1-1 et R. 1237-13).

Si l’on prend en comparaison les dispositions légales sur la rupture conventionnelle individuelle, le code du travail prévoit expressément que la rupture conventionnelle est exclusive du licenciement ou de la démission (c. trav. art. L. 1237-11).

La Direction générale du travail (DGT) a confirmé cette intention de « fermer la voie du licenciement pour faute », ajoutant que « la procédure en cas d’abandon de poste se substitue ainsi entièrement à la procédure de licenciement pour faute pour abandon de poste, raison pour laquelle le document questions-réponses indique que l’employeur n’a plus vocation à engager une procédure de licenciement pour faute ».

Néanmoins, les questions/réponses du ministère du Travail ainsi que la confirmation de la DGT n’ont pas de valeur juridique en elles-mêmes. Si elles ne sont a priori pas « normatives », en pratique, elles suscitent bien des interrogations, notamment du côté des fonctions ressources humaines et des employeurs qui pourront y voir une limite à leur pouvoir de direction.

À NOTER : La précision du ministère du Travail n’est pas totalement surprenante puisque le gouvernement en avait déjà fait part dans ses observations transmises au Conseil constitutionnel en réaction à sa saisine sur la loi Marché du travail. Le gouvernement y précisait ainsi que l’intention du législateur était de « lever l’obligation pour les employeurs confrontés à une situation d’abandon de poste de mettre en œuvre la procédure de licenciement pour motif personnel, en lui substituant la procédure définie à l’article L. 1237-1-1, qui doit être mise en œuvre à l’exclusion de toute autre procédure, notamment de la procédure de licenciement » ou encore « d’instituer une procédure obligatoire en cas d’abandon de poste volontaire, appelée à se substituer entièrement à la procédure de licenciement pour abandon de poste ». Cependant, ces observations n’ont pas de valeur juridique. Et le Conseil constitutionnel ne les a pas reprises dans sa décision.


Mise en œuvre de la présomption de démission

1. Mise en demeure du salarié de justifier son absence et de reprendre le travail dans un délai de 15 jours minimum L'employeur qui entend faire valoir la présomption de démission doit mettre en demeure le salarié de justifier son absence et de reprendre son poste dans un délai qu'il fixe et qui ne peut être inférieur à 15 jours (c. trav. art. L. 1237-1-1 et R. 1237-13).

Il s’agit d’un délai plancher, l’employeur étant libre d’en fixer un plus long. Ce délai s’entend en jours calendaires (c’est-à-dire week-end et jours fériés compris), précise le ministère du Travail (Q/R n° 2).


En outre, le ministère indique que l’employeur doit dans sa mise en demeure (Q/R n° 2) :

  • "obligatoirement" indiquer le délai dans lequel le salarié doit reprendre son poste ;

  • demander la raison de l’absence du salarié afin d’en recueillir la justification ;

  • rappeler que passé ce délai, faute pour le salarié d’avoir repris son poste, ce dernier sera présumé démissionnaire (l’employeur peut aussi préciser qu’en ce cas, le salarié n’aura pas droit à l’allocation d’assurance chômage).

Le ministère recommande également de préciser dans la mise en demeure que le salarié présumé avoir démissionné est redevable d’un préavis et d’y prévoir l’organisation de l’exécution de ce préavis .

La mise en demeure doit être adressée au salarié par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge (c. trav. art. L. 1237-1-1 et R. 1237-13).

Pour éviter toute contestation sur la date de présentation de la mise en demeure (qui fait courir le délai de 15 jours ou plus laissé au salarié), il est conseillé à l’employeur de procéder par lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR) (Q/R n° 3).

Le ministère du travail ajoute aussi à titre pratique que si le salarié refuse de prendre connaissance de la mise en demeure, cette dernière est quand même notifiée régulièrement dès lors qu’elle a bien été présentée au domicile du salarié. Il en va de même si le salarié, par négligence, n’a pas fourni à son employeur la bonne adresse de son domicile. Autrement dit, le délai court quand même.


2. Motifs légitimes d'absence permettant au salarié de faire obstacle à la présomption de démission Dans le délai d'au moins 15 jours fixé par l'employeur dans la mise en demeure, le salarié peut répondre à l'employeur en justifiant son absence à son poste de travail par un motif légitime de nature à faire obstacle à la présomption de démission. Il doit alors indiquer ce motif dans la réponse à la mise en demeure (c. trav. art. R. 1237-13).

Parmi les exemples de motifs légitimes, il est précisé qu’il peut s’agir « notamment » (c. trav. art. R. 1237-13) :

  • de raisons médicales ;

  • de l'exercice du droit de retrait en cas de danger grave et imminent (c. trav. art. L. 4131-1) ;

  • de l'exercice du droit de grève (c. trav. art. L. 2511-1) ;

  • du refus du salarié d'exécuter une instruction contraire à une réglementation ;

  • du refus du salarié d'exécuter une modification du contrat de travail à l'initiative de l'employeur.

L’emploi du terme « notamment » permet de considérer que cette liste de motivations pouvant justifier une absence n’est pas exhaustive (ex. : harcèlement moral ou sexuel, agression physique ou verbale).

Lorsque le salarié invoque un motif légitime justifiant son absence, l'employeur ne peut plus mener la procédure de présomption de démission à son terme (Q/R n° 4).


3. Date de la démission présumée et formalisme de la démission

Si le salarié ne répond pas à la mise en demeure et ne reprend pas le travail au plus tard à la date fixée par l’employeur, ou répond qu’il ne reprendra pas son travail dans l’entreprise, la démission du salarié est constatée « à la date ultime de reprise du travail fixée par l’employeur » (Q/R n° 5).

Sur le formalisme de la démission, le ministère rappelle que la loi n’en impose pas. Cependant, des dispositions conventionnelles peuvent exiger un écrit d’un salarié démissionnaire. Dans ce cas, le ministère estime que dans l’hypothèse de la présomption de démission pour abandon de poste, l’employeur n’est pas obligé de demander au salarié qui ne s’est pas manifesté suite à la mise en demeure de produire un écrit pour formaliser sa démission. Il se fonde sur la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle l'écrit exigé constitue une simple règle de forme dont la méconnaissance ne remet pas en cause la volonté du salarié (cass. soc. 28 septembre 2004, n° 02-43299 D).


4. Préavis de démission Le ministère du Travail indique que les règles de droit commun du préavis en cas de démission s’appliquent à la présomption de démission (Q/R n° 7).

Ainsi, le salarié présumé démissionnaire est, comme tout salarié ayant démissionné, redevable du préavis de démission qui s’imposerait à lui en vertu de la loi, d’une convention ou d’un accord collectif ou, à défaut, d’un usage pratiqué dans la localité et la profession (c. trav. art. L. 1237-1). En l'absence de dispositions légales ou conventionnelles ou d'usage prévoyant un préavis de démission, aucun préavis n'est dû par le salarié.

Si un préavis doit être exécuté, il commence à courir à compter du jour ultime fixé par l’employeur dans la mise en demeure pour la reprise du travail, précise le ministère (Q/R n° 9).

Néanmoins, le ministère estime qu’en pratique, il est probable que le salarié refuse d’exécuter son préavis. Dans ce cas, qu’en est-il de l’indemnité compensatrice de préavis ?

Les questions/réponses rappellent le droit applicable (Q/R n° 8) :

  • pas d’indemnité à verser au salarié si le salarié et l’employeur conviennent de ne pas exécuter le préavis ;

  • si l’employeur décide d’autorité de dispenser le salarié de préavis, il devra lui verser une indemnité compensatrice.

L’employeur doit être attentif à ce point s’il fixe les modalités d’exécution du préavis dans sa mise en demeure.

L’employeur peut aussi exiger du salarié qu’il exécute son préavis et, en cas de refus de ce dernier, il peut lui réclamer une indemnité compensatrice.


5. Documents de fin de contrat et DSN Comme pour n’importe quelle démission, l’employeur est tenu de remettre au salarié ses documents de fin de contrat : certificat de travail, reçu pour solde de tout compte et attestation d’assurance chômage.

Le ministère du Travail rappelle que si, en principe l’employeur est seulement obligé de tenir ces documents à la disposition du salarié, il est ici recommandé d’en adresser un double par voie postale à la dernière adresse connue du salarié (Q/R n° 10).

L’employeur doit mentionner dans ces documents comme type de rupture du contrat « Démission », tout comme dans la DSN.


6. Indemnité compensatrice de congés payés La présomption de démission en cas d’abandon de poste ne déroge pas à l’obligation de verser au salarié une indemnité compensatrice de congés payés pour les congés payés acquis mais non pris (Q/R n° 11 ; c. trav. art. L. 3141-28).

Contestation par le salarié de la démission présumée

Le salarié présumé démissionnaire peut contester devant le conseil de prud'hommes la rupture de son contrat de travail intervenue sur le fondement de cette présomption (c. trav. art. L. 1237-1-1). L’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui se prononce sur la nature de la rupture et les conséquences associées. Il statue au fond dans un délai d’un mois à compter de sa saisine.

À notre sens, si les juges estiment que la présomption de démission est infondée, la rupture devrait alors être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse, ouvrant droit au salarié aux indemnités de rupture et aux allocations de chômage s'il remplit les conditions d'indemnisation du chômage.

Le ministère du Travail précise qu'en outre, au-delà de la procédure contentieuse, le salarié qui estimerait que l’application de la présomption de démission est infondée peut faire appel à une organisation représentative de salariés afin que cette dernière lui apporte conseil et assistance ou encore à un avocat (Q/R n° 13).

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